• Mes deux petites mères

    Mes deux petites mères

    Mes deux petites mères, aujourd'hui, c'est votre fête.

    J'ai attendu que les averses en aient fini de cingler la terrasse et de creuser des rigoles devant le pas de la porte Oui, je prends mon temps. Et alors? Maman, la dernière fois que je suis allée te voir,ce ne fut pas une réussite, souviens-toi. J'avais fait un détour exprès pour te parler avant d'aller chez le notaire. Je t'avais bien recommandé de peser de toute ta volonté dans l'heure qui suivrait. A toi de jouer, je t'avais dit. Une heure, ce n'est pourtant pas long. Tu as trouvé le moyen d'avoir autre chose à faire car ce fut un fiasco Tes dernières volontés, c'était le moment de les lui souffler dans les bronches à ce prétentieux qui n'avait même pas lu le dossier truffé d'erreurs. Introuvable ton fameux testament !On avait bonne mine ! Il n'y en avait qu'un qui jubilait sur sa chaise en bêlant des «Maîaîître» et ce n'est pas celui que tu aurais aimé voir minauder. Celui-là il a pensé qu'il t'avait bien eue. Alors, soit tu t'en fous, soit tu ne peux plus rien faire. Bon, c'est fait, c'est emballé, n'en parlons plus. On n'en parle plus, ça veut pas dire que ce n'est pas resté en travers de la gorge car, n'empêche, à ce moment-là, j'ai vraiment douté de tes capacités à incurver le cours des choses. Je doute toujours, d'ailleurs. Quand je vais te parler pour te donner des nouvelles de la famille, j'ai l'impression de me donner en spectacle, d'autant que tu devrais savoir encore mieux que moi où elle en est la famille, mais enfin, au prétexte que tu saurais tout, je n'aurais donc plus rien à te dire ? C'est ridicule...

    Et nous voilà en novembre et sa fête des morts et ses averses et son vent glacial J'ai beau me dire que toi et ta mère, couchées dans le même caveau, vous n'êtes plus rien, j'ai beau me forcer à ne pas penser à vos chairs de ma chair, décomposées, et qu'il vaut mieux que vous ne voyiez pas ce que vos corps sont devenus, et qu'ainsi je penche pour la supposition que tout ce qui se passe ici-bas vous est devenu étranger, j'ai beau me dire tout ça, je vais opter pour la tradition, je vais aller , dès que l'averse aura enfin cessé, déposer deux bouquets de pensées qui, je l'espère, redonneront au printemps et puis, surtout, j'irai parce que dans le petit doute que vous existiez encore d'une manière que je ne saisis pas, je ferai comme vous quand vous montiez la butte avec, d'une main, votre petit râteau dans un seau et votre brassée de fleurs dans l'autre.

    Et voilà ! Vous avez gagné, mes petites mères ! Il a suffit que je parle de râteau et de pelle pour que je me fende la poire en vous imaginant gamines vêtues de petites culottes, accroupies, occupées à faire des châteaux de sable. Or donc, puisque c'est jour de fête, faisons la fête ! J'apporterai une bouteille de vieille prune en plus de mes tendres pensées, de mon râteau dans mon seau et je ratisserai le sable dessinant de jolies arabesques sur lesquelles se poseront de fins coquillages.

    Mes deux petites mères

     

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 2 Novembre 2014 à 16:51

    Deux textes pour cette fin de semaine : tu nous gâtes!

    J'ai anticipé la Fête des morts, sur la tombe de mon papa, il y a une semaine environ, en Sologne.

    j'avais commis il y a bientôt deux ans cette note sur le cimetière où il repose.

    http://leblogdepapydompointcom.blog50.com/archive/2013/02/05/le-cimetiere-de-contres-loir-et-cher-diapora.html

     

    Dominique

     

     

    2
    Lundi 3 Novembre 2014 à 18:31

    Le texte était de circonstance. C'est bien de laisser de trace écrites témoignant de nos pensées. Je uis allée voir ton blog, c'est très émouvant. Les photos du cimetière où est ton père sont remarquable...Elle prêtent à l'écriture. L'image qui m'a le plu marquée c'est celle des tombe bien qu'alignées qui penchent de tous côtés ainsi, chaque tombe a sa propre personnalité. Je garde ces images pour m'en inspirer. ...

    Bien amicalement, Dominique.

    3
    Mardi 4 Novembre 2014 à 00:05
    Chacun fait ce qu'il peut avec la mort..Parfois, je me dis que la Toussaint rend service aux cimetières avec tous ces embellissements dus à la tradition. Mais le vrai recueillement vient de l'intérieur.
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