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Tristan et Isolde, La mort des amants , peinture de Rogelio de Egusquizo
La voile blanche
Ah ! Que vienne l’aurore, s’éloigne le trépas !
Je souffre Chère Femme et n’y survivrai pas,
Si noire est cette plaie qui me mange le corps.
Ne m’abandonne pas ! Aie pitié de mon sort,
Iseult ! Viens sans tarder, sans toi ne puis périr !
Viens me baiser la bouche avant que de mourir !Las, le vent s’est levé, la mer frappe sa voile.
Sa nef cingle à grand peine aux voûtes sans étoiles.
Mène-moi au rivage, exauce un dernier vœu
Que je caresse encor l’or fin de ses cheveux.
Dans les flots me noierai si je ne la vois pas
Et de draps de velours le ciel nous couvrira.Pourquoi tant de fureur écume sur les flots ?
Yseult, mon adorée, tiens bon sur le vaisseau !
Est-ce toi que je vois au mât de voile blanche
Qui tangue frêlement sur la mer qui déhanche ?
Ah ! Je ne vois plus rien, aveuglé de douleurs,
J’expire sur la grève… Mon amour, je me meurs…L’anneau de jaspe vert ainsi que mon épée,
Je les veux dans ma tombe et toi à mon côté,
Nos deux corps enlacés d’un brin de chèvrefeuille
Et sur le coudrier chantera le bouvreuil,
Les ronces jailliront autour de nos linceuls
Et comme doigts scellés, jamais ne serons seuls.D’après la légende de Tristan et Iseult
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peinture F.Aubry de Montdidier
La Madone
Peut-être la surprendrez-vous
Cachée sous une dune blonde
Portant un enfant à son cou ?
Vous penserez qu’elle est féconde
Drapée dans sa robe safran
Aux pans légers s’ébouriffant.
Elle enfle au vent chaud du désert
Ses flancs arrondis de promesse.
Vous la verrez, la femme fière,
Prendre à l’argile sa noblesse.
Peut-être la surprendrez-vous,
La Madone, debout.
Là-bas, dans les palétuviers
Des feux de roquettes déchirent
Le bleu du ciel noir de mortier.
Ses frères, son père, s’en vont rougir
Les eaux du fleuve dont la reine
Plus ne veille sur ses enfants.
Comme l’ébène qu’on enchaîne
Vont s’engloutir les talismans
Et les flamants en désarroi
Fuient la Mangrove qui les cloue.
Au loin, vous la verrez parfois,
La Madone, à genoux.
Son ventre crie la délivrance.
Ô sombres yeux dont la détresse
Aura raison de sa vaillance.
La vie, la mort, tous deux oppressent.
Dans cet enfer, un sang nouveau
Perdrait trop tôt son innocence,
Rejoindrait vite le tombeau.
Elle s’étend. Sans résistance,
Au soleil offre ses entrailles
Tandis que gronde la mitraille.
Vous l’entendrez, agonisante,
La Madone : elle enfante.
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peinture auteur inconnu
Les moissons
Réveillez-vous ! Ne voyez-vous poindre l’aurore ?
Le temps nous presse avant que le jour décolore !
La brume se répand au bas de la vallée ;
Les épis frissonnants tardent d’être coupés ;
Bateleurs aux pas lourds vous arpentez la plaine
Blonde qui se répand en mère souveraine.
La machine mugit, crache la poussière
Collant à la sueur sur les fronts et les torses.
Et l'on combat le temps et l'on use ses forces .
Déjà les grains dorés roulent dans l’entonnoir.
Le soleil au midi s’efface et s’amoncelle
Une nue menaçante or que le ciel est noir.
C’est une course folle afin que l’on bottelle.
On prie pour que l’ouvrage achève avant la pluie,
On redouble d’ardeur, on chante et l’on s’écrie.
Au soir, las et fourbus, la récolte engrangée,
On se retrouve autour d’une bonne tablée.
D’un sourire vainqueur on se serre la paume;
La plaine dormira dans son grand lit de chaume
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Nature morte
L’étang, comme lame de platine,
Accablé de pesante chaleur
Somnole
Nimbé de brume blanche.
C’est l’heure où les faucheux
A grandes enjambées
Marchent sur l’eau,
Frôlent leurs ventres arrondis,
Zigzaguent entre les serpents
Qui ondulent
Et le bondissement des grenouilles
Sur le trèfle cornu.
Les sauterelles jouent à piqueter des mues
Mordorées
Sous l’œil indifférent des bœufs débonnaires
Qui sortent de l’ombre des sureaux,
S’envasent joyeusement
Et fouettent des gerbes d’eau scintillante.
Le ciel se pare de traînées oranges
Et l’envol d’un col-vert échappé des iris
Fait trembler les pétales engorgés de soleil
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Photo extraite de "Etrange et insolite"
Soir de fête
Dans la fraîcheur du soir, au chemin de halage,
Tandis que les maisons rabattent leurs volets,
Nous irons, toi et moi, nous bercer de reflets,
Voir le scintillement de l'eau et son roulage
Et je prendrai ta main, cherchant sur ton visage
Les lueurs d'autrefois, ton rire en bracelet,
Tes contes ver à soie sortis de ton bonnet
Pour l'enfant que j'étais quand tu avais mon âge
Je te fredonnerai des airs de cabaret;
Les libellules bleues nous feront un ballet;
Ton châle, de frissons, poussera les ombrages
D'une mémoire enfuie dans le froid des chenets
Qui rougissaient alors de brûler tes secrets
Quand tu aimais la danse et les marivaudages.
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photo provenant du blog de Papydompointcom et aimablement offerte par son auteur pour l'illustration.
Eclats de bonheur
Prime fleur rosit
Sous les bouffées de soleil tiède .
Ses feuilles endurcies
Claironnent leur verdeur
Foin de grêle
Hiver bat en retraite
S’efface en plein midi
Quand les enfants
S’encourent à travers champs
Les moufles barbelées de givre
Et la bouche mordant la violette.
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La chambre bleue
Je ne saurais vous dire
Si cette chambre bleue
Convient à mes désirs
Car de désirs n'ai peu
Peu m'importe ce vase
Posé sur la console
Nulle effluve n'embrase
Nul amour ne convole
Je ne saurais vous dire
Si ce lit baldaquin
Convient à mes envies
Car d'envies n'en ai point
Peu m'importe les draps
De serge ou bien de soie
Qu'ils aient un goût ancien
Où les regrets poudroient
Je ne saurais vous dire
S'il troublera mes songes
Pour mes heures adoucir
Cet ennui qui me ronge
Peu m'importe la nuit
Demeurant éveillée
Si l'ardeur a péri
Au bord de l'oreiller
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Les champs des morts
Sur de tendres tapis, des jardins de bois blancs
S’étendent sur des monts et des plaines dolentes
Entre des murs saillants aux marches trébuchantes
Le vent peut bien rugir, courber les ifs tremblants
Et la pluie peut laver les marbres entaillés,
Vous êtes condamnés à blanchir la campagne,
Saluer des drapeaux sur des mâts de Cocagne,
Petits soldats de bois, dans la terre, figés.
Non, vous ne dormez pas! Comme des automates,
Sans cesse vous veillez, sentinelles de rose
A l’odeur de sueur, de sang et de nécrose,
Plantés comme fusils aux bouches écarlates.
Vous n'aviez que vingt ans, des rêves d'aubépines
Quand ils se fiançaient aux rires ingénus,
Vos mains pour caresser des ventres préconçus
Dans l’incarnat des lits aux lèvres grenadines.
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J’aim’ la confiture
J’aim’ la confiture
Quand tu tremp’ ton doigt
Dans la confiture
Tu suces ton doigt
Ton doigt qui festoie
L’envie qui se noie
Le jus dégouline
Couleur grenadine
Sur les commissures
D’étranges marbrures
Coule la groseille
En grappe bien mûre
Ta langue est vermeille
J’aime les ratures
De la confiture
Qui font des bavures
Sur tes lèvres mûres
Donne-moi ton doigt
D’où coule la treille
Je me ris de toi
Et tu t’émerveilles
Je suce ton doigt
Parfum de groseille
Tu te ris de moi
Et je m’émerveille
Autour de ma bouche
Qui n’est pas farouche
Une signature
Comme ligature.
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Françoise Aubry de Montdidier
Vous avez dit démence ?
Cours ! Cours vers les bienheureux ténèbres !
Bouchonne ta solitude dans la douceur des draps
Essore-la comme la seule vérité
Ton bien le plus précieux
Va rejoindre la moiteur du berceau
Où les sourires nigauds se penchent
Tu as cessé de grandir
Glisse-toi mollement dans le moelleux de l’absence
Vois comme tu rapetisses
Comme tes mains ne sont plus fébriles
Pétales blancs posés sur ton sein endormi
Vois comme ton sang pâlit
Tes lèvres diaphanes baisant les volants de l’oreiller
Eteignent les ombres de nos pas
Une rose fleurit aux arômes de lait
C’est l’aube d’un printemps qui n’attend plus l’hiver
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