• A la lanterne

    A la lanterne !


    Les arbres s’habillaient de bouquets blancs
    La terre endormie se poudrait de vert
    Pourtant la ville avait l’odeur du sang
    Et ses passants, un visage d’hiver.

    Pleurez, pleurez, petits enfants,
    Vous aurez des moulins à vent.

    Le fin clocher arbore la cocarde
    Saluant l’arbre de la liberté
    Et la potence joue de la camarde
    A essuyer la cravate à Capet.

    Pleurez, pleurez, la liberté,
    De sang les lauriers sont coupés.

    Rue des Foulons exposés au carcan,
    Voyez ces bas de soie, ces taffetas ;
    Un carré d’as ne fait pas un brelan
    De mégères braillant “ C’est du rata ! ”

    Pleurez, pleurez, les nouveaux-nés,
    Au champ la charrette a croulé

    L’oeillette fanée pleure la Saint Jean.
    On dénonce dans les bouches de fer.
    On emmenotte et complote à l’encan
    Les calottes et jabots réfractaires.

    Pleurez, pleurez, petites filles
    Vous danserez à Saint Faucille

    Où sont passées les aurores nacrées
    Et la blonde lumière du soleil ?
    Dans la campagne, le chauffeur à pied
    Dépouille, égorge et vole le méteil

    Pleurez, pleurez, brav’ paysans
    Hélas, la révolution ment.

    Décadi n’est pas dimanche et pourtant,
    A lueur du crasset, on attend
    Que thermidor, enfin, rende aux enfants
    Leur bonne galette des rois d’antan.

    Riez, cachez, petits marmots,
    Les louis d’or dans vos sabots.

    Partager via Gmail Yahoo!

    4 commentaires
  • Antonio Mancini "Pauvre écolier" Musée Orsay

     La lettre

     

    La vaisselle faite, elle essuie ses mains sur son tablier, se mouche énergiquement et relève d'un doigt encore rougi, une mèche imaginaire. C'est un geste machinal qu'elle a gardé du temps où la buée de la lessiveuse faisait s'échapper des boucles de son fichu. Elle tire le banc collé à la table et s'y assied et, comme chaque jour depuis qu'elle est arrivée, la mère prend la lettre dans ses mains, avec délicatesse, comme son curé prend l'hostie sur la patène. L'enveloppe est fine, bordée d'une frise rouge et bleue avec une indication : « par avion-by airmail». Elle ne comprend pas tout mais elle sait que cette lettre a pris l'avion pour venir jusqu'à elle. Et si c'était son fils? Son fils aurait pris l'avion ? Lui qui a mis du temps à apprendre à rouler à bicyclette. Pourtant, elle en est quasiment sûre. Elle a bien réfléchi tous ces jours, en attendant le retour du père. Il y a tant d'années qu'elle ne l'a pas revu son Jeannot. Elle connaissait un peu son écriture du temps qu'il était gamin. Maintenant c'est un homme alors, forcément il n'écrit plus comme avant. C'est bien son adresse. Avec son doigt, elle enroule les lettres qui sont tracées à l'encre violette et là, elle y voit un signe : c'est la même couleur que sur ses cahiers d'écolier remplis de pâtés d'encre violette et de trous de plume. Il ne fait plus de trous. C'est qu'il a grandi le fils. Et la mère se penche sur cette lettre, ferme les yeux, plisse le front très fort et aspire à grands coups de nez pour mieux emprisonner les images qu'elle a gardées de son unique fils. La voilà à la recherche d'une odeur qu'elle aurait cru oubliée et qui resurgirait comme l'odeur de ses mains qui ont transpiré pour faire cette lettre. Il suait toujours quand il avait à faire une rédaction. Elle sait bien, la mère, qu'elle se fait des idées. C'est juste histoire de se parler, de savourer son contentement en attendant le retour du père qui a la tâche de lire la lettre. Elle a tant attendu ce jour. Encore quelques heures et elle saura. Elle imagine les grosses larmes que le père laissera couler le longs des sillons de son nez, car il pleurera c'est sûr, comme le jour où il a attendu que Jeannot ait tourné le chemin et qu'ils ne l'ont plus revu. Allons, il n'y a plus beaucoup à attendre, se dit-elle en se relevant tout en posant une dernière caresse sur la lettre comme elle le faisait avant que Jeannot parte pour l'école.

    Le coucou vient de sonner l'angélus quand le père pose sa sacoche dans l'entrée. Il voit la lettre sur la table avant même de voir les grands yeux impatients de sa femme. Il la regarde. Il lui semble que ses yeux ont beaucoup pleuré, ça se voit aux grandes cernes qui noircissent son visage. Sans mot dire, elle hoche la tête. Alors,il prend ses deux mains dans les siennes et de chacun de ses yeux une grosse larme dévale. Ils s'assoient face à face, chacun sur leur banc. Le père prend la lettre, la tourne et retourne de ses doigts rugueux, pèse le contenu. La lettre est légère. Il n'y a pas d'adresse au dos. Il sort son couteau de sa poche et délicatement cisaille l'enveloppe qui fait un doux bruit déchirant comme l'impatience qui ébranle les doigts. Un papier fin, tellement fin que des trous,çà et là décorent la lettre, comme sur les cahiers d'écolier de Jeannot, remarque la mère. Les yeux du père parcourent les lignes tandis qu'elle est suspendue aux mouvements de ses lèvres... « Chers parents...Il y a longtemps maintenant que papa m'a donné ma valise en m'ordonnant de quitter la maison... » Elle en était sûre, c'était bien son fils !La voix du père faiblit au fur et à mesure que les mots défilent... « La vie me fut rude, j'ai du me débrouiller seul, sans votre aide... ». Maintenant le père renifle en tentant de lire à travers ses yeux embués et c'est d'une voix à peine audible qu'il poursuit... «Mais j'ai si souvent pensé à maman pour avoir du courage. Le temps a passé et je veux vous dire par cette lettre que même si je ne peux oublier la sévère punition que papa m'a infligée, ...Mais le père n'est plus capable de lire et c'est elle qui prend la lettre et énonce chaque mot, jusqu'au dernier... « Maman, tu me manques tellement...et papa aussi, même si je ne sais pas si je lui manque ». Elle quitte alors son banc pour rejoindre son mari. De ses bras frêles elle enserre ses larges épaules et le berce infiniment, car le bonheur peut être douloureux quand il vient soudainement et à grand fracas vous secouer le cœur. Ensemble ils laissent s'écouler leur trop vieux chagrin.

    Partager via Gmail Yahoo!

    3 commentaires
  •  

    SAISON DES AMOURS

     

    Elle rampe et se vrille
    Elle happe et s'accroche
    Au hasard entortille
    Les amants qui approchent.
    Volute ensorceleuse
    Aux allures frondeuses,
    Langoureuse elle épanche
    Ses charmes sous les branches.
    Elle étale, alanguie,
    Près du saule endormi
    Son parfum capiteux
    Son port avantageux.
    Maints galants la courtisent
    Dansent la ronde folle
    Bourdonnent à leur guise
    Au chant des barcarolles,
    Dardant le gynécée,
    Suprême gourmandise,
    Prisant cet hyménée,
    Sans repos s'étourdissent,
    Echinent l’ appendice
    Juponnent Colombine,
    L’amoureuse glycine.

    Partager via Gmail Yahoo!

    9 commentaires
  • Le noeud du tablier

     

     

    Le noeud du tablier

     

    L'avenir s'est enfui dans la maison chagrin,
    Le temps gelé s'abat sur le seuil calfeutré.
    La comtoise s'est tue, on a perdu la clé.
    Les volets clos, le jour, sont ouverts sur la nuit.
    Un faible lumignon guide les pas trottins
    De la chaise au réchaud puis de la table au lit.
    Les bibelots posés comme des paysages
    Eteints ont égaré les souvenirs embués.
    Un cadre penche au clou. La mère fait naufrage.
    La main ne saisit plus, ne sait que caresser
    Le noeud du tablier; aussi, ne peut mentir,
    Parfois dans son regard, l'esquisse d'un sourire,
    Le geste de la main jouant à la marelle
    Sans jamais, de la terre, en atteindre le ciel.
    Elle ne pleure plus; les misères ont tari,
    Rivières asséchées serpentant sur la peau
    Parcheminée de brun en étoiles ternies.
    Elle parle à son père, elle n'a plus d'enfants
    Et dans ses litanies, absents sont les berceaux.
    Le cordon s'est rompu; reste le temps, béant.

     

     

    ***

    Partager via Gmail Yahoo!

    9 commentaires
  •  

     

    Campagne d'Egypte

     

     

    Campagne d'Egypte Campagne d'Egypte

     


    Comme un troupeau poussé de pâture en pâture
    Sans but et sans butin, de leurs haltes sans pain
    Ni vin mais sabreurs de lames de bédouins
    Les hommes gémissaient, pleuraient leur géniture .

    Oh ! L’exquise douleur des mirages poivrés
    Sur le bleu sec du ciel et du sol exorable !
    Ah ! Le soleil qui jaillit de la mer de sable !
    Boire la mort dans sa malsaine volupté.

    Bouillant dans des bottes de cuir, pieds torturés,
    Des corps sans importance, occis et oubliés,
    Touchaient enfin les bords d’oasis verdissantes.

    Ils reposaient légers à l’ombre d’un jasmin,
    Loin du vent rouge épais aux odeurs suffocantes,
    Où coule une ombre verte épanchant l’eau sans fin.

     

     

    ***

    Partager via Gmail Yahoo!

    4 commentaires