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F Aubry de Montdidier
Les bûcherons
Les grands arbres, immenses cathédrales,Branches en croix, se dressent vers les cieux
Qui déversent, dru, un flot vertical,
Assaillant en cataractes les pieux
Où s'accrochent des gargouilles hideuses
Ricanant au déluge triomphal,
Pissant dans les nefs où passent les gueuses
Menant leurs bâtards au fond baptismal.
Les grandes orgues jouent le gros bourdon
Qui sème la terreur chez les poltrons.
Les mères en peur réclament le pardon:
Les pères ne sont que simples bûcherons.
Mais le grand prêtre, ce mécène,
Bannit les pauvres filles et leurs marmots,
Les jette sans pitié dans la géhenne:
Au front, de l'infamie, voilà le sceau.
Le ciel outragé, verse son courroux
Parmi les mitres d'or pontificales.
Les bois en croix s'abaissent sous le joug.
Qu'on rende aux bûcherons leurs cathédrales!
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Les bœufs
Les yeux mornes des bœufs contemplent le clocher
Dans la fumante plaine à l'heure vespérale
Où tinte l'angélus pour la gent communale
Qui délaisse la houe pour s'en aller souperLe troupeau indolent au rythme de la danse
Des taons sur leurs naseaux et du merle insolent,
D'une pesante panse ondule son pas lent.
Il va battant ses flancs bercés de nonchalance,Au point d'eau s'étancher sous l'ombre des grands frênes.
Enlisé dans la glaise où croissent les silènes
Et miroitent des jets parmi les meuglementsEn un contentement patauge dans la vase.
Mille éclats de cristaux que le soleil embrase
Sont les cailloux jetés par quelques garnements
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peinture de Bruno Amadio
L'enfant Latour
Le contrevent balance en gémissant.
Le lierre s'y cramponne
Et le vent méchant gifle le carreau
Zébré d'obliques gouttes de plomb
Brouillant les larmes de l'enfant
Qui dessinait un arc-en-ciel.Sur le châlit la vieille mère murmure :
Prends un abri, bergère, laisse tes blancs moutons,
De laine plus n'en faut
Quand la chandelle est morte.Latour, prends garde
Disait le père en titubant.
Derrière chez nous y'a un étang
C'est là qu'il dort depuis longtemps.C'était il était une fois
L'enfant poussa comme un chardon.
En descendant dans son jardin
Une poule sur le mur
Se moqua de son briquet.L'aiguillon n'a pas passé
Pas la peine de r'commencer.
Latour s'en ira t'en guerre
Puis il sera porté en terre
Loin du châlit et de l'étang.Au clair de la lune
Mon ami Latour
Dessine des plumes
Et ne dit plus mot.
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Le temps d'un poème
Une fine écriture
Tombe en poussière
Et laisse filer la peineC'est une ancienne peine
Cernée d'un vieux ruban
Un nœud l'enserre à peineLes pleurs sont minuscules
J'ai délié le ruban
Laissé filer la peineEt c'est dans une veine
D'un bois de palissandre
Qu'elle s'est reposéePetits brins de rosée
Que d'une tendre haleine
les années vont sécher*
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Le silence de la pierre
L'oreille sur la pierre écrase le silence
Que froisse une fougère en pleine éclosion
Sa clé de sol harponne une voix d'angelot
Etouffe sous l'archet les petits cris d'amour,
Où la source trébuche et chiffonne les airs.Mon âme sur la mousse entonne une berceuse :
«Ta mère n'est pas là, ton père n'y est plus ».
Je suis à la rivière et l'écho me répond
Ta mère est au trépas, ton père est dépendu
Et mes yeux étourdis regardent le clocher.La girouette s'affole et le coq cocorique.
En la place Flaubert le café clôt ses portes
l'ébéniste rabote et le bedeau s'accroche
Au bourdon qui retient le râteau des faneuses
Dont les cheveux couleur des blés plaisent aux gars.A voir tout un village en crêpe et en souliers
Marteler les pavés qui montent vers l'église
A se rapetisser derrière la fontaine
A se parler tout bas au milieu des soupirs
Les pierres des caveaux pourront crier d'effroiEt de froid car, qu'il verse ou que le soleil rit
C'est la même chanson que moulinent mes pas
Un pied devant qui mène vers la tombe,
Un pied derrière à pleurer le passé
Et dans ma main la clé pour courir au verger.
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F.Aubry de Montdidier
Le rouge-gorge
Sais-tu que l'impertinence se paye parfois de menus sequins,
Que ta rieuse imprudence exaspère l'insecte qui folâtre?
Ta gorge flamboyante, effrontément, dénude le soleil pâlissant
Et tes pupilles valseuses aveuglent le merlot.
Ondule, va! Fais le coquet! Ramage vers les cimes où ta belle s'éreinte!
Sautille, quadrille autour de la bruyère qui rosit!
Les frimas ne tarderont. Les vents coulis se lèveront.
Dans l'ivresse hivernale et le silence duveteux,
Mille étincelles neigeuses s'abattront sur la mousse.
Telle une fleur orangée, tu jailliras du houx scintillant
Et ton chant bercera mon imprécise mélancolie.
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Le retour du Frisé
Chacun et sa chacune attrape leur bonheur
Elle a mis l'oreiller sentant le foin coupé
Et la douce verveine. Un drap, chaud de soleil,
Illumine la chambre au crucifix vermeil.
La violette embaume un habit démodé.Sa tête virevolte et bruisse une chanson
Sur laquelle ils tournaient le dimanche aux guinguettes.
Sur un air de Damia, lui, lançait ses risettes
Et ses doigts sur sa peau suivaient l'accordéon.On lui a dit, « ce soir, après le dernier train »
Quand il fait chèvre ou loup, un bouquet à la main.
Tant d'yeux à se chercher , tant de gorges serrées,Depuis longtemps son cœur s'endort sous l'étouffoir
Où est le grand frisé ? Quoi ? Ces lèvres coupées ?...
Ce soir le crucifix descendra du perchoir.Et pleurent de leurs voix tous les sons du malheur
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La dame à la licorne
Immobile est le lac où nul cygne ne glisse.
Pas même le héron sombre ne fait le guet.
Sur la souche à l'à-pic d'un ru qu'on passe à gué,
Impassible est le geai quand le rocher dévisseEt c'est un grondement que l'écho multiplie
Dans la vallée profonde. Alors, des cris stridents
De chamois et mouflons mêlant leurs hurlements
Font trembler les grands pins épris de la furie.Bruants, ducs et milans tournoient déjà dans l'air
En se réjouissant de dépecer la chair
Or un étrange envol de bêtes encornéesFit plonger dans le lac, en gerbe éblouissante,
Le troupeau... Depuis lors, à la lune dansante,
La dame et sa licorne enchantent nos contrées .
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Nicolas Lépicier, élève de Chardin
J’écris
J’écris sur la rose passée
Avant que l’empreinte s’efface,
Candélabres fleurdélisés,
Globes de verre qu’on enchâsse.J’écris dans des vases lactés
Où ruisselle en coulis l’amande
Amère des mots éreintés
Tourbillonnant comme girande.J'écris derrière un paravent
mes falbalas en mots jetés
Aux pieds de l'homme caressant
Où gisent quelques négligésJ’écris sur la chair délicate
En bleu veiné de rouge sang
Par le tranchant du silicateOù cicatrise le trépan.
J’écris sur la tourbe prospère
Mes cris, mes râles à venir
Et que le vent , comme poussière,
Efface ainsi que mon soupir.J’écris sur l’arbre séculaire
L’hébétude des mal-aimés
La peur dans un ventre glaciaire
Tout à l’entour des barbelés.J’écris sur la stèle trop blanche
Des noms que j’avais oubliés;
Je vous laisse votre revanche
Vos amours moites amputés.J'écris sur l'envers de ma peau
Le gai printemps qui s'amenuise
Mes piaillements de moineau
Et l'hiver qui, las, me courtise
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Irène Nemirovski
Point née vous n'étiez pour être poulinière
Mon enfance avorta sitôt que l'accoucheur
Du sein froid m'écarta. Bien vite ma maigreur,
Pour vos taffetas, Mère, était une barrière.Votre giron bouffant usait de ventrière
Et c'est assez souffrir l'éclat de vos froideurs
Dans votre bouche amère empestant les aigreurs
Car de ce cœur trop sec ne serait l'héritière.Est-ce -vous, dites-moi, comme ultime abandon,
Sur l'autel de Vichy, signant la trahison
Qui d'une main légère un soir me débaptise ?Vous voilà centenaire, adieu mère et femelle
Les flammes d'Auschwitz sont puanteur exquise.
Par votre indignité, je péris immortelle
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